« Le pays n’est ni gouverné ni administré… » Telle fut la déclaration publique du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, avant d’être assassiné quelques heures plus tard, à l’entrée de sa demeure. Le bâtonnier selon un haut cadre de la police nationale d’Haïti habitait à moins de trois cents (300) mètres du Président de la république Jovenel Moïse. Depuis, plusieurs personnes ont été blessées, arrêtées et tuées. Des cas de kidnapping sont signalés un peu partout sur le territoire. C’est dans ce climat délétère que des élections vont être réalisées par le pouvoir en place avec l’appui d’un OEA régionalement décrié et des États-Unis qui eux-mêmes sont confrontés à des problèmes internes de plus en plus pressants.Toutefois, outre la position de la France exprimée par l’ambassadeur de France sur le processus électoral, des élus américains ne cessent ces derniers jours d’insister sur l’acuité de la crise politique actuelle et le risque d’embrasement si les élections sont tenues dans de telles conditions. Ceci ramène le secrétaire d’état américain à plus de nuances pour maugréer que les élections législatives doivent se dérouler quand elles seront techniquement réalisables. Les élections seront techniquement possibles quand elles peuvent être démocratiques!
Le techniquement réalisable n’est autre que le respect du cadre d’expression démocratique. Plusieurs critères sont requis pour que les élections soient techniquement possibles:

1.- Un climat sécuritaire indispensable 
Sans un climat sécuritaire, les élections ne peuvent avoir lieu. La sécurité des candidats, du personnel électoral et des votants est une condition sine qua non pour permettre la réalisation des compétitions électorales libres. Aucune zone de non droit ne peut être indiquée durant la période préélectorale, électorale et postelectorale. Les conditions matérielles sécuritaires des élections sont également des conditions de validité et de crédibilité desdites élections. Des grands efforts et sacrifices seront nécessaires pour ramener la sécurité. C’est à ce prix que l’on pourra garantir une ambiance d’égalité de chances de campagne, de propagandes et d’élections.

2.- Un cadre légal clair et communément accepté 
Au moment de la rédaction de ce texte, personne ne peut dire avec exactitude sous l’empire de quelle loi ou quelle constitution que les prochaines élections seront organisées. L’exercice d’un pouvoir exécutif unipersonnel, autoritaire et exclusif avec prétention législative décrétale accélère la plongée dans l’incertitude légale et la confusion normative. Sans un cadre légal clair et opposable, dans un contexte politique aussi volatil, avec une constitution de fait mise en veilleuse, les éventuels élus desdites élections seront totalement dépourvus légitimité légale-rationnelle. Cela va être une complication préjudicielle pour les autres crises à venir…

3.-La mise au point de la participation optimale
Selon les données du IHSI, plus de 7 millions d’haïtiens sont en âge de voter. Ce sont des électeurs qui sans leur carte d’identification n’auront pas le privilège d’exercer leur droit démocratique de voter et d’être élu. Il s’agit là d’une condition techniquement démocratique ou démocratiquement technique au regard du fait que la légitimité des élus qui sortiront de ces élections devra nécessairement être supportée par un grand nombre d’électeurs. La participation optimale implique une liste d’électeurs sincère et juste avec des marges d’erreurs nulles et certifiée par les autorités concernées.
4.-Un conseil électoral consensuel et une machine électorale fiable.

De toute l’histoire des conseils électoraux provisoires post 1987, le conseil électoral de Jovenel est le moins consensuel et le plus problématique! Entré en fonction sans la prestation de serment, avec un mandat anticonstitutionnel, ce conseil est donc fils de l’ambiguïté et fille de la provocation. On comprend mal qu’aucun effort n’a été entrepris pour un consensus minimal sans lequel aucunes élections sérieuses ne peuvent provenir…

En somme, l’on pourrait affirmer non sans gêne et toute honte bue, que cautionner la tenue d’élections dans les conditions actuelles ne pourra être interprétée que comme une expression nouvelle d’un sous-racisme latent. De la menace à la nuance prudente, dire que les élections doivent être organisées quand elles seront techniquement possibles revient à dire, à bien des égards et si l’on est sérieux, qu’aucunes élections ne sont actuellement possibles…!

Camille ÉDOUARD, Jr.